Face aux RPS, "le collectif ne se prescrit pas"

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Le collectif au sein d'une entreprise a un rôle protecteur fondamental en termes de santé au travail. Mais il ne suffit pas de le décréter par des réunions, ateliers ou fêtes de fin d'année pour en obtenir les effets.

Le collectif a un réel impact s'il "va de soi". Interview de David Moisson, psychologue du travail et consultant en risques psychosociaux pour le cabinet Anveol.

Dans la préservation de la santé au travail, vous estimez que le collectif n'est pas suffisamment pris en compte. Que voulez-vous dire ?

David Moisson : Le collectif a été malmené ces dernières années. En principe, le collectif est quelque chose qui va de soi. À l'instar d'autres questions comme celle du bonheur ou de la motivation, on commence à s'en préoccuper quand ça tend à disparaître. Il y a quelques années, on ne s'y intéressait pas et, pour cause, ça allait de soi. Il allait de soi que l'on travaille ensemble en bonne intelligence, que l'on se soutienne, que l'on fasse preuve de solidarité. Et quelque part, cette attitude, cette bienveillance, il allait de soi qu'il faille la protéger.

Qu'est-ce qui a changé aujourd'hui ?

D.M. : Les modes d'organisation et de management du travail ont considérablement évolué à partir de la fin des années 70, au début des années 80. Les rapports de force se sont progressivement tendus à l'intérieur comme à l'extérieur de l'entreprise, sans que l'on se soucie des répercussions de ces tensions nouvelles sur la santé psychique des travailleurs. Jusqu'à constater, à la fin des années 90, que le travail pouvait tuer. Le délitement du collectif est précisément l'une des résultantes inévitables de tout ce qui s'est passé depuis la fin des années 70, en lien principalement avec les enjeux économiques.

Est-ce à dire, par raisonnement inversé, que le collectif serait précisément le bon levier pour lutter contre les risques psychosociaux ?

D.M. : Pas tout à fait. Tout d'abord, il faut dire que l'on s'intéresse au collectif depuis relativement peu de temps et que l'on s'y intéresse d'une manière un peu biaisée. Ce qu'il faut comprendre c'est que le collectif, ça ne se prescrit pas. Le collectif, ça ne s'impose pas. Or, on essaie de le prescrire. C'est-à-dire que l'on constate que l'isolement au travail est délétère pour la santé, donc en raisonnant par l'absurde, l'on se dit : "et si l'on recréait du collectif ?". Des réunions sont ainsi organisées, on va réinstaurer "la fameuse galette" de début d'année, faire en sorte que les gens aient plus de possibilités de se sociabiliser, d'être ensemble, etc. Ce faisant, on prend évidemment le problème à l'envers. Et, dans les entreprises où le collectif est dégradé, les salariés se montrent sceptiques, et appellent au boycott. Cela nourrit un cercle vicieux, car, la direction, elle aussi, se dit "on fait tout pour eux et ils ne viennent pas". Il en résulte une sorte de statu quo qui ne satisfait au fond personne.

Comment agir alors pour induire, insuffler ce collectif ?

D.M. : Des solutions miracle, il n'en existe pas. L'idée est qu'il faut redonner aux gens l'envie d'aller les uns vers les autres. Le processus ne pourra être que très progressif. De même qu'il a fallu beaucoup de temps pour en arriver là, il faudra du temps pour améliorer sensiblement la situation. Tout d'abord, il est important de pouvoir dire les choses, en particulier que le collectif est véritablement essentiel au maintien de la santé au travail. En vertu d'un politiquement correct très présent aujourd'hui dans l'entreprise, tout le monde s'accorde à le reconnaître, mais cela ne signe pas pour autant, au-delà d'un constat somme toute assez convenu, une véritable prise de conscience. Ma position consiste à dire que ça n'est pas "seulement" important, et surtout, que ça ne doit pas se résumer à la machine à café ! Le collectif est fondamental, c'est l'armature de la santé au travail. Ce qui ne signifie pas qu'au sein d'un collectif en parfaite santé, tout le monde le soit aussi. Mais c'est le minimum de protection nécessaire, sans lequel rien de durable ne peut se construire au sein de l'entreprise, du point de vue de la santé et du bien-être au travail.

Concrètement, cela signifie quoi ? Faut-il laisser des espaces libres au sein de l'entreprise par exemple ?

D.M. : Il faut transformer l'entreprise en un endroit où puissent se développer des espaces de délibération sur le travail et son organisation. Et pour cela, il faut faire confiance aux employés, et notamment en leur capacité à questionner et à améliorer l'organisation du travail, dans leur intérêt propre, mais aussi dans celui des employeurs. Ce serait une manière de redonner du sens au collectif, et, au-delà, de redonner du sens au travail. Le collectif de travail, ce sont des gens qui élaborent ensemble des règles de travail (techniques, sociales, éthiques, etc.), mais aussi, de manière plus implicite, des règles qui visent à souder les travailleurs entre eux, et, ce faisant, à les protéger contre les difficultés du travail, et la souffrance que celui-ci peut engendrer, et ainsi à les maintenir en santé.

Pouvez-vous préciser la méthode?

D.M. : Oui, deux écueils sont notamment à éviter dans cette démarche de délibération sur le travail : le premier concerne le questionnement de l'organisation du travail sous l'angle de l'excellence ou de la performance. Quelque peu "tyrannique" pour le psychisme, cette vision des choses va engendrer culpabilité et malaise chez de nombreuses personnes, qui auront le sentiment de n'être jamais "à la hauteur" des attentes que l'on fait peser sur eux. Le second écueil réside dans une approche des problématiques, uniquement centrée sur la santé ou le médical, utilisant des termes comme "diagnostic" ou "remède", qui instille dans l'esprit des travailleurs l'idée que c'est eux qui sont défaillants, et non l'organisation du travail. S'il est nécessaire de permettre aux travailleurs d'interroger cette organisation du travail, il n'est pas opportun de le faire sous l'angle de la santé, qui elle, doit concerner principalement les dirigeants d'entreprises, certaines institutions représentatives du personnel comme les CHSCT, aidés le cas échéant par des professionnels compétents.

 

 

Auteur : Par Rosanne Aries, actuEL-HSE.

 

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