“On ne doit pas multiplier les règles et les procédures comme dans les organisations actuelles si, en contrepartie, on ne donne pas de l’autonomie aux acteurs. […] Les entreprises doivent admettre qu’il y ait un écart entre l’organisation officielle et l’organisation effective. […] De même, une organisation ne peut pas éliminer l’erreur. Le plus important, c’est la capacité à s’en enrichir”, observe Christian Morel, dans un récent entretien accordé au magazine Liaisons sociales (1).
Gare à l'inflation de procédures !
Dans deux ouvrages en passe de devenir des classiques de la sociologie des organisations - Les décisions absurdes I et II (2) -, cet ancien cadre d'un groupe industriel a démontré que l'inflation de règlements, et de procédures provoque généralement des effets inverses à ceux escomptés par les organisations. Pourquoi ? Parce qu’en imposant aux salariés un corset de règles toujours plus rigides on risque de brider progressivement leur esprit d’initiative individuelle et leur intelligence collective. Or ces qualités contribuent autant au bon fonctionnement des organisations et des entreprises que les procédures et règles conçues au sommet.
Ces observations méritent bien sûr d’être connues de tous les dirigeants et managers pour se prémunir des “décisions absurdes”. Mais elles doivent aussi inspirer l’action des professionnels de la santé et la sécurité au travail. Dans un récent dossier, les experts de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) soulignent ainsi le rôle crucial joué par les “savoirs de prudence” dans la gestion des risques professionnels (3). Or, justement, ces savoirs ne sont pas issus des règlements, mais de l'expérience des travailleurs : “Ce sont des attitudes et des comportements qui viennent compléter ou redoubler les prescriptions de sécurité.”
Valoriser l'expérience collective
Ce rappel est salutaire pour les professionnels de la prévention des risques. Il vient en effet souligner que leur rôle ne consiste pas à exiger sur un mode autoritaire la conformité à des procédures, mais plutôt à prendre en compte l'intelligence que déploient les collectifs de travail pour assurer la sécurité et la santé de leurs membres.
Cette façon de faire, plus proche du réel et du “vrai travail” accomplit par chacun au quotidien n'implique d'ailleurs nullement le statu quo. L'expérience démontre au contraire qu'elle est de nature à permettre le déploiement d'une démarche de progrès d'autant plus fructueuse que chacun est sollicité dans son élaboration et sa mise en oeuvre. Pour prévenir efficacement les risques, il faut bien sûr respecter les normes légales mais sans négliger l'expérience et les “savoirs de prudence” des travailleurs et des entreprises !
Sécurité réglée et sécurité gérée
“Dans les entreprises, il existe une série de dispositifs formels de prévention, de nature technique et organisationnelle. Ils reposent sur […] le respect de règles et de procédures et l’adoption de mesures techniques. Le terme ‘sécurité réglée’ désigne ces dispositifs formels de prévention et de protection du travail. À côté, et en complément de la sécurité réglée, il existe aussi une ‘sécurité gérée’, qui se manifeste dans les situations de travail quotidiennes. Elle […] repose sur une sorte d’accord tacite, au sein des collectifs de travail, sur des règles de bon exercice du métier, qui sont partagées par tous et apprises aux nouveaux arrivants. […] Le fait de disposer de marges d’autonomie est une composante importante du dispositif. C’est dans cette marge que vient s’insérer la sécurité gérée, c’est là qu’elle s’articule à la sécurité réglée.” (www.anact.fr).
- Liaisons sociales magazine, décembre 2012.
- Les décisions absurdes I et II, Éditions Gallimard 2002 et 2012.
- “Transfert entre générations : le cas des savoirs de prudence”, www.anact.fr, 03 janvier 2013.
Auteur : La rédaction de Point Org Sécurité
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