"L'obligation de sécurité de résultat tend vers une obligation de prévention"

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"Le résultat attendu n'est pas l'absence d'atteinte physique ou mentale mais l'ensemble des mesures prises par l'employeur", explique l'avocate Joumana Frangie-Moukanas. Elle revient sur les arrêts de la Cour de cassation qui, ces derniers mois, marquent un infléchissement.

"C'est vrai qu'on a l'impression que, avec cette fameuse obligation de sécurité de résultat, quoique l'on fasse, on sera condamné si l'on se retrouve devant les tribunaux suite à un accident du travail", s'inquiète un responsable santé-sécurité, venu participer à un petit-déjeuner du cabinet d'avocats Flichy-Grangé, spécialisé en droit social, qui défend essentiellement les employeurs, sur l'évolution de la jurisprudence quant à l'obligation de sécurité de résultat. "Il ne faut pas pour autant céder à la tentation de ne rien faire", précise une de ses consœurs d'une autre entreprise, ne voulant pas mettre en regard prévention et tribunaux : "quand on fait de la prévention, ce n'est de toute façon pas pour échapper aux juges". En 2015, trois arrêts rendus par la Cour de cassation ont marqué une "volonté de modération de la chambre sociale", constate Joumana Frangie-Moukanas, avocate chez Flichy-Grangé. "Est-ce que l'on peut parler d'une obligation de sécurité de résultat atténuée ?", s'interroge-t-elle. Elle préfère pour l'instant rester prudente.

2002, point de départ

En février 2002, avec les arrêts dits "amiante", la Cour de cassation pose le principe d'une obligation de sécurité de résultat, point de départ d'une abondante jurisprudence depuis. À partir du moment où l'employeur avait – ou aurait dû avoir – conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris toutes les mesures nécessaires pour l'en préserver, la faute inexcusable vient sanctionner le manquement à l'obligation de sécurité de résultat. Deux mois plus tard, les magistrats décident que ce principe concerne aussi les accidents du travail. "L'obligation de sécurité va migrer du droit de la sécurité sociale vers le droit du travail, et la Cour de cassation se prononce désormais, non plus sur un fondement contractuel (article 1147 du code civil), mais sur un fondement légal (article L. 4121-1 du code du travail), qu'elle interprète à la lumière de la directive européenne 89/391 du 12 juin 1989", détaille Joumana Frangie-Moukanas.

Rappelons que selon l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent notamment des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d'information et de formation, la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

Montée en puissance

En 2008, l'arrêt Snecma étend considérablement l'obligation de sécurité de résultat. Les magistrats de la Cour de cassation renforcent le pouvoir du CHSCT quant à ses prérogatives de contrôle des conditions de travail, décident que l'employeur ne peut "prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés". Et autorisent le juge – sur le fondement de l'obligation de sécurité de résultat – à suspendre une réorganisation du travail qui pourrait compromettre la santé et la sécurité des salariés. De 2006 à 2010, on note aussi une "dérive", commente Joumana Frangie-Moukanas, en matière de harcèlement : "la jurisprudence se fait extrêmement sévère". "L'employeur tenu d'une obligation de sécurité de résultat manque à cette obligation lorsque le salarié est victime sur le lieu de travail d'agissements de harcèlement moral ou sexuels exercés par l'un ou l'autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures pour faire cesser ces agissements", écrit la Cour de cassation. "Quand bien même il n'aurait commis aucune faute…", répète Joumana Frangie-Moukanas. "Avec cette montée en puissance, le sentiment d'une obligation absolue, toujours liée à une sanction, s'était peu à peu instauré."

En 2015, l'employeur ne manque pas toujours à son obligation

Même si elle dit à nouveau qu'elle veut se montrer "prudente" et qu'elle ne pense pas que l'on puisse pour aussi vite parler de "revirement", c'est tout sourire que l'avocate évoque les arrêts de 2015. Il a d'abord l'arrêt du 5 mars 2015, qui concerne la Fnac et se situe dans un cadre similaire à celui de la Snecma : une restructuration sur fond de risques psychosociaux. Mais cette fois-ci, les hauts magistrats estiment que les RPS ne sont pas caractérisés et que l'employeur n'a pas failli à son obligation de sécurité de résultat (voir notre article), alors que la cour d'appel avait décidé de suspendre la réorganisation (voir notre article).Le 22 octobre 2015, la Cour de cassation valide le projet d'externalisation d'Areva NC malgré des RPS caractérisés. Parce qu'avait été mis en place un "plan global de prévention des RPS, comportant notamment un dispositif d'écoute et d'accompagnement, ainsi qu'un dispositif d'évolution des conditions de vie au travail et de formation des managers", et que "cette démarche s'est poursuivie dans la durée" (voir notre article).

Au visa des 9 principes généraux de prévention

Le troisième arrêt est celui qui a incité certains à évoquer la fin de l'obligation de sécurité de résultat. Un pilote d'Air France est témoin des attentats du 11-Septembre 2001. Cinq ans plus tard, il fait une crise de panique alors qu'il part rejoindre son bord pour un vol ; développant un syndrome anxio-dépressif majeur, il estime que son employeur n'a pas fait le nécessaire. À tort, tranche la Cour de cassation, le 25 novembre 2015. Elle rend, pense Joumana Frangie-Moukanas, une "très bonne décision". "Avec un attendu de principe très fort, qu'il n'y avait pas dans les deux décisions précédentes". "Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé mentale et physique des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par l'article L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail." C'est posé (voir notre article). Et ce au visa de deux articles du code du travail, le L. 4121-2 étant celui qui donne les 9 principes généraux de prévention.

L'employeur a droit à la preuve

"La Cour de cassation relève des éléments de fait et de preuve constatés et appréciés souverainement par les juges du fond : l'employeur a pris en compte les événements violents auxquels le salarié a été exposé et l'a fait accueillir par un personnel médical assurant une présence jour et nuit, et le salarié – déclaré apte lors de 4 visites médicales – a exercé normalement son activité jusqu'en avril 2006", raconte l'avocate. Ainsi, l'employeur n'a-t-il pas toujours tort. Il peut apporter la preuve qu'il a pris des mesures pour faire cesser le risque. Dans ce cas, les hauts magistrats estiment que l'on ne peut pas retenir contre lui un manquement à l'obligation de sécurité de résultat. Pour Joumana Frangie-Moukanas, la chambre sociale agit là "en bon père de famille, en quelque sorte". "Avec davantage de bienveillance, et parce qu'elle a conscience que si elle veut mettre l'accent sur la prévention, il faut faire montre de davantage de souplesse quant à l'obligation de sécurité de résultat." L'arrêt consacre à la fois l'importance de la prévention et l'importance du droit de la preuve pour la défense.

Dans l'attente d'autres décisions

"L'obligation de sécurité de résultat tend vers une obligation de prévention : le résultat attendu n'est pas l'absence d'atteinte physique ou mentale, mais l'ensemble des mesures prises par l'employeur, dont les juges du fond pourront apprécier la pertinence", analyse l'avocate. Mais pour se prononcer plus avant sur la portée de l'arrêt Air France, elle préfère attendre d'autres décisions, notamment en matière de harcèlement moral, "car en la matière, on ne constate pas d'évolution pour l'instant". Le 9 avril 2015, la Cour de cassation a encore jugé que l'employeur manque à son obligation de sécurité de résultat lorsque son salarié est victime sur son lieu de travail de faits de harcèlement moral, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements. Elle l'a condamné à payer au salarié à la fois la réparation du préjudice résultant de l'absence de prévention des faits de harcèlement, et la réparation des conséquences du harcèlement.

 

 

 

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Convention collective Métallurgie Haute-Marne le :

Avoir une obligation de sécurité oblige indirectement l'employeur à mettre en place des mesures de prévention et de protection. En cas d'accident, il pourra être couvert seulement s'il a mis en place des mesures adaptées
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