Sortir de “l'enfer des règles”

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Et si on faisait (aussi) confiance à l’expérience et à l’intelligence des professionnels !

0n ne doit pas multiplier les règles et les procédures, comme dans les organisations actuelles si, en contrepartie, on ne donne pas de l’autonomie aux acteurs”, mettait en garde Christian Morel, dans un entretien accordé, voici quelques années au magazine Liaisons sociales (1). Ancien cadre de l’industrie - il a notamment exercé la fonction de responsable qualité chez Renault - il s’est fait une spécialité de dénoncer, dans une série d’ouvrages très étayés, les “décisions absurdes” qui entravent le bon fonctionnement des organisations (2).

Prolifération incontrôlée des règles

Sa cible favorite ? Les lois, règlements, normes, standards, procédures, prescriptions, guidelines, référentiels, chartes, préconisations et autres process qui prolifèrent aussi bien dans les administrations publiques que dans les branches professionnelles et les organisations privées. Au fil d’enquêtes de terrain et de rapports consacrés à des accidents, notamment dans le domaine aéronautique, il a en effet acquis la conviction que l'inflation de règlements, et de procédures peut provoquer des effets inverses à ceux escomptés, notamment en matière de sécurité.

Son dernier opus, paru en mars dernier, apporte de nouvelles illustrations. Christian Morel évoque ainsi une étude réalisée dans des hôpitaux israéliens établissant qu’au-delà d’un certain seuil de règles, le nombre d’erreurs médicales, loin de baisser, monte en flèches... Un constat surprenant qui s’explique ainsi : chez les professionnels submergés de procédures impératives et contraignantes, le respect scrupuleux de celles-ci se substitue progressivement à leur intelligence des situations.

Réhabilitation de l’expérience

Ce constat ne peut manquer de susciter l’intérêt des professionnels de la prévention des risques. En effet, dans notre pratique quotidienne, nous avons pu constater les effets bénéfiques des normes et des règles qui permettent d’encadrer l’action et de susciter des démarches de progrès. Mais nous sommes aussi les témoins quotidiens des effets sclérosants, paralysant et désespérant de l’excès de règles contraignantes. Nous avons pu vérifier qu’en imposant à leurs salariés un corset de règles toujours plus rigides, les organisations brident leur esprit d’initiative, leur sens de l’analyse et leur engagement.

Fort heureusement, cette réalité est de mieux en mieux admise par la profession. Voici quelques années déjà, l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) soulignait le rôle crucial joué par les “savoirs de prudence” dans la gestion des risques professionnels (3). Or, justement, ces savoirs sont issus de l'expérience de la base : “Ce sont des attitudes et des comportements qui viennent compléter les prescriptions de sécurité”. Issues de la pratique quotidienne des métiers, polies par une saine confrontation aux situations réelles et irriguées par un solide bon sens, elles se révèlent souvent extrêmement pertinentes. Comme l'illustre notre dossier de ce mois-ci (voir p.3), elles sont aussi le fruit d'un état d'esprit qu'il convient d'encourager.

Favoriser l’intelligence et l’implication

Ce rappel salutaire vient souligner qu’en matière de prévention des risques, la bonne méthode ne consiste pas à exiger sur un mode autoritaire la conformité à des procédures, mais plutôt à favoriser l’implication des équipes. Faut-il le préciser ? C’est ainsi que les intervenants de Point Org Sécurité conçoivent leur métier. Car s’ils connaissent bien les normes qui s’imposent aux professionnels, ils n’ignorent pas non plus l’intelligence et l'expérience de ceux-ci !

  1. Liaisons sociales, décembre 2012.
  2. Les décisions absurdes I, II et III, Éditions Gallimard 2002, 2012 et 2018.
  3. “Transfert entre générations: le cas des savoirs de prudence”, www.anact.fr, 03/02/13.

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