Lutte contre les conduites addictives : quel rôle peut jouer l’entreprise ?

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Cause majeure de mortalité prématurée en France, la consommation de substances psychoactives est un sujet qui se retrouve inévitablement dans le monde du travail.” C'est pourquoi un récent dossier du magazine Travail & Sécurité , fait le point sur la façon dont les entreprises peuvent agir contre ces pratiques aux conséquences néfastes aussi bien pour ses employés que pour elle-même.

L'entreprise à la fois victime et responsable

La question de la consommation de produits psychoactifs tels que l'alcool ou la drogue a longtemps été taboue dans le monde du travail. Puis elle est devenue l'objet d'un débat frontal entre ceux qui estimaient que l'entreprise était responsable des conduites addictives de ses salariés et ceux qui considéraient qu'elle était plutôt victime de comportements individuels importés de l'extérieur. Aujourd'hui, la plupart des experts s'accordent pour affirmer qu'en la matière, l'entreprise est à la fois victime et responsable. Comme l'écrit Marissa Lepape, contrôleur de sécurité à la Carsat Aquitaine, “Il est important d’aborder le sujet dans les deux sens : comment des consommations peuvent entraîner des effets sur le travail et comment l’organisation du travail peut induire des consommations”.

L'entreprise, lieu de prévention

Les pratiques addictives sont le résultat de la rencontre entre une personne, une substance et un contexte familial, social mais aussi professionnel. “Sans être responsable de tout, l'entreprise a donc un rôle à jouer. En tant que lieu collectif, elle est un espace possible pour organiser la prévention”, résume Patricia Coursault, responsable prévention à la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca). Elle s'inscrit ainsi dans le sillage du Plan santé travail 2016-2020 qui fait de la lutte contre les addictions une des priorités des acteurs de la santé au travail.

Admettre les facteurs professionnels des addictions

Pour tenir ce rôle, l'entreprise doit accepter sereinement son éventuelle part de responsabilité. Pour les experts en addictologie, la consommation de produits psychoactifs sur le lieu de travail peut en effet correspondre à des besoins liés aux conditions de travail. Ils sont alors consommés pour “leur rôle dopant ou stimulant, pour parvenir à réaliser les tâches attendues, pour tenir le rythme ; pour leur rôle anesthésiant, pour se détendre face à la pression ou au stress, pour réduire la fatigue ou la douleur physique, mieux récupérer et se remettre des effets du travail ; enfin, pour le rôle social et festif contribuant à l’intégration dans une équipe”.

Identifier et prévenir les causes des addictions

Si les pratiques addictives ont une origine multicausale dont des facteurs liés à la vie privée, il est indéniable que des facteurs professionnels favorisent les consommations de psychotropes”, souligne Philippe Hache, conseil médical en santé au travail à l’INRS. D'où la nécessité, pour les employeurs, d'évaluer et de prévenir les divers facteurs professionnels qui peuvent favoriser les comportements addictifs. “Mettre en place des mesures de prévention est une obligation réglementaire de l’employeur. Cela passe par l’inscription du risque dans le document unique, pour commencer à changer les représentations sur le sujet”, poursuit-il.

Mobiliser tout le collectif de travail

Pour les experts de l'INRS, la lutte contre les addictions doit prendre un caractère global. S'il est certes nécessaire de réglementer la consommation de produits psychoactifs sur le lieu de travail (voir encadré ci-dessous), ce volet réglementaire et répressif ne peut suffire à venir à bout d'un problème dont les ressorts tiennent aussi aux pratiques collectives et aux représentations culturelles. “La prévention des conduites addictives en milieu professionnel doit être une politique assumée par l’entreprise, portée par ses dirigeants, qui communiquent sur le sujet”, conclut Patricia Coursault. Une remarque qui souligne combien la prévention des risques professionnels, loin de représenter une question exclusivement technique ou médicale, représente bien un sujet managérial qui engage l'entreprise entière et auquel doivent être sensibilisés tous ses membres.

Consommation d’alcool au travail : que peut prévoir le règlement intérieur ?

Afin de lutter contre les addictions au travail, le règlement intérieur de l'entreprise joue un rôle capital. Il contribue en effet à fixer des règles à respecter et à changer le regard des membres de l'entreprise sur les comportements addictifs. Toutefois, s'agissant de comportements relevant aussi de la liberté individuelle, l'entreprise doit veiller à respecter certaines règles, rappelées par l'avocat Michel Ledoux dans une tribune accordée au site spécialisé Batiactu.com.

Concernant l'alcool, le Code du travail dispose qu'“aucune boisson alcoolisée autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré, n'est autorisée sur les lieux de travail”. Il ajoute toutefois que "lorsque la consommation de boissons alcoolisées est susceptible de porter atteinte à la sécurité et à la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur, en application de l'article L. 4121-1 du Code du travail, prévoit dans le règlement intérieur ou à défaut par note de service, les mesures permettant de protéger la santé et la sécurité des travailleurs et de prévenir tout risque d'accident. Ces mesures qui peuvent prendre la forme d'une limitation, voire d'une interdiction de cette consommation, doivent être proportionnées au but recherché.”

Cela signifie concrètement que le règlement intérieur peut :

  • lister de façon limitative les boissons alcoolisées tolérées dans l'enceinte de l'entreprise ;
  • préciser le moment où cette consommation est autorisée (par exemple pendant la pause déjeuner) ;
  • fixer les sanctions disciplinaires applicables aux salariés en cas de non-respect des dispositions ;
  • prévoir le comportement attendu par le salarié dans l'entreprise lorsqu'un de ses camarades de travail est dans l'incapacité d'accomplir son travail du fait d'un comportement addictif ;
  • fixer des règles concernant le contrôle des taux d'alcoolémie (à quel moment le recours à l'alcootest est autorisé, etc.) ;
  • définir des postes jugés dangereux et dans lesquels la consommation d'alcool est proscrite, (par exemple : le travail en hauteur, l'utilisation de machines dangereuses, la conduite de véhicules, le travail isolé, etc.).

Pour aller plus loin : Dossier “Les conduites addictives”, in Travail & Sécurité, n°793, avril 2018.

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