Risque chimique : faire parler les indicateurs biologiques

La SBEP, surveillance biologique des expositions professionnelles, permet à la fois de repérer les activités les plus à risque, d'assurer une traçabilité individuelle et de s'interroger sur l'efficacité des mesures de prévention des expositions. Elle est pourtant encore assez peu mise en œuvre.

"Le responsable HSE de mon entreprise ne jure que par les prélèvements dans l'air, il trouve que c'est le seul moyen d'avoir une vision collective des expositions aux substances chimiques, et d'avoir des arguments à apporter à la direction, grâce aux valeurs limites d'exposition existantes", confie cette infirmière de santé au travail en entreprise, seule représentante de la médecine du travail à être chaque jour sur le site – l'entreprise a fait le choix d'adhérer à un Sist (service interentreprises de santé au travail) pour le médecin du travail, tout en gardant l'infirmière en interne. Il n'est pas toujours facile pour elle de mobiliser un médecin un peu éloigné du terrain, débordé, et qui doit se partager entre de nombreuses entreprises. Mais elle reviendra de Rouen – où se déroulaient les 12e journées nationales d'études et de formation du GIT (groupement des infirmiers de santé au travail) du 7 au 9 juin 2017 (voir notre article) – bien décidée à monter un projet de SBEP, c'est-à-dire de surveillance biologique des expositions professionnelles, aussi appelée biométrologie, biosurveillance, ou biomonitoring.

Les premières recommandations médicoprofessionnelles

Il y a tout juste un an, la SFMD (société française de médecine du travail) publiait ses "recommandations de bonne pratique" pour la SBEP. Un document attendu car si la littérature scientifique sur la SBEP et abondante, la biométrologie n'a été réglementairement organisée en France que pour la surveillance de la plombémie, et il n'y avait jusqu'alors pas de recommandations médicoprofessionnelles pour faciliter l'appropriation de la SBEP par la médecine du travail. Alors même que le code du travail indique bien que le médecin du travail doit prescrire les examens médicaux nécessaires à la surveillance biologique des expositions aux agents chimiques. Jean-François Gehanno, professeur de médecine du travail au CHU de Rouen et président de la SFMT, était jeudi dernier aux journées d'études du GIT pour expliquer comment appliquer la biométrologie en santé au travail.

Identifier les postes à risque

Pour lui, hors de question d'opposer biométrologie et analyse des prélèvements dans l'air, les deux doivent se compléter, et l'un ne devrait pas aller sans l'autre, la biométrologie étant un "élément fondamental de l'évaluation et de la surveillance individuelle et collective des risques chimiques". Elle permet aussi "d'identifier les postes ou activités à risque et d'assurer une traçabilité des expositions", souligne Jean-François Gehanno. Un des principaux atouts de la SBEP ? "Prendre en compte toutes les voies d'exposition – cutanée, respiratoire, digestive – ainsi que les particularités individuelles : un salarié qui manipule des produits chimiques et se ronge les ongles n'aura pas les mêmes résultats que celui qui ne le fait pas." Et un de ces principaux inconvénients ? "Prendre en compte toutes les sources d'exposition. On peut se demander d'où cela vient, est-ce uniquement une exposition professionnelle ou y a-t-il aussi une exposition personnelle ?" L'entretien avec le travailleur, sous le sceau évidemment du secret médical, est indispensable.

SBEP, IBE et VBI

La SBEP, surveillance biologique des expositions professionnelles, a été définie en 1984 par des experts réunis par la CEC (commission des communautés européennes) et, outre-Atlantique, le NIOSH (National Institute of Occupational Safety and Health) et l'Osha (Occupational Safety and Health Administration) comme étant "l’identification et la mesure des substances de l’environnement du poste de travail ou de leurs métabolites dans les tissus, les excreta, les sécrétions ou l’air expiré des travailleurs exposés, pour évaluer l’exposition et les risques pour la santé, en comparant les valeurs mesurées à des références appropriées".

Les IBE, indicateurs biologiques d’exposition, sont les paramètres mesurés. On parle aussi de biomarqueurs d’exposition ou de bio-indicateurs d’exposition.

Une fois le prélèvement analysé, on peut comparer les IBE aux VBI, valeurs biologiques d'interprétation. "La VBI est une valeur à laquelle on peut se référer pour interpréter le résultat d’un IBE dans le cadre de la SBEP. Il peut s’agir de valeurs limites établies spécifiquement dans un contexte d’exposition professionnelle ou des valeurs usuelles en population générale", écrivent les experts dans les "recommandations de bonne pratique" de la SFMT.

Comment savoir ce que l'on cherche ?

Seuls cas où la SBEP ne sera pas pertinente : si l'agent chimique recherché a des effets qui sont uniquement locaux, qui provoquent des irritations ou des allergies, ou qui résultent de pics d'exposition plutôt que de l'exposition moyenne ou cumulée. La mise en œuvre d'une biosurveillance n'est pas simple. Il faut notamment savoir ce que l'on va aller chercher, quel sera l'IBE retenu et choisir la matrice, puis déterminer le moment du prélèvement, qui dépend de la cinétique d'élimination de l'IBE, choisir aussi le laboratoire d'analyses, conserver correctement les prélèvements… Pour tout cela, les recommandations de la SFMT sont précieuses, ainsi que la base Biotox de l'INRS. "Comment savoir ce que l'on cherche ?", s'interroge un participant des journées du GIT. Jean-François Gehanno conseille alors de commencer par "faire un biomonitoring sur le produit chimique qui est le plus utilisé dans l'entreprise, ce qui permettra déjà de voir s'il y a un dysfonctionnement" et ainsi d'apprécier l'efficacité des mesures de réduction des expositions mises en place. "Il y a aussi la possibilité de faire des tests de mutagénicité – quand on ne sait pas exactement ce que l'on cherche, mais que l'on sait ce que l'on craint…"

Biosurveillance archivée

Depuis plusieurs années, le Sist Santé au travail en Cornouaille, dont 2 des 20 médecins sont référents en toxicologie, a mis en place une biosurveillance des salariés suivis. Les résultats sont archivés dans la fiche de l'entreprise (résultats collectifs) et dans le dossier médical du salarié. Agnès Hervé, médecin du travail, et Mélanie Floc'h ont ainsi par exemple mené en 2009 une campagne de mesure du perchloroéthylène auprès de 50 salariés de 20 pressings. Pour tous, la biométrologie a montré des expositions importantes. "Cela nous a notamment permis de repérer les tâches les plus exposantes", rapporte le médecin, citant le chargement / déchargement, le raclage des boues, le changement des filtres, ou encore l'ouverture du hublot en cours de cycle. En plus de la substitution du perchloroéthylène, qui n'était alors pas encore obligatoire, plusieurs pistes d'amélioration des protections collectives ont pu être proposées aux employeurs. Une surveillance biométrologique tous les deux ans pour les femmes en âge de procréer a été décidée.

Biométrologie et prélèvements surfaciques

Environ 5 000 séances de chimiothérapie et 10 000 préparations par an, pour une vingtaine de patients par jour. Dans l'unité d'oncologie ambulatoire de cette clinique de Caen, les salariés ont fait remonter au Sist leurs craintes quant à leur manipulation de cytostatiques, des CMR (cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques). Infirmière de santé au travail, Stéphanie Amy a décidé d'aller voir l'exposition de plus près. Elle a couplé la SBEP à des prélèvements surfaciques : "il s'agit de passer un linge sur une surface, c'est assez simple à mettre en œuvre et nous donne une cartographie des surfaces contaminées", explique-t-elle. Si les résultats de la biométrologie ont été "plutôt rassurants", ils ne "reflétaient que le jour du prélèvement", et seront à renouveler régulièrement. En revanche, les prélèvements surfaciques se sont révélés positifs au produit recherché en plusieurs points. Depuis, les claviers des ordinateurs, par exemple, sont pourvus de housses plastiques afin de les nettoyer plus facilement, et il a été recommandé aux infirmiers de changer fréquemment leurs gants – au moins toutes les 20 à 30 minutes, et avant toute manipulation. "Le risque ne doit pas être banalisé", insiste Stéphanie Amy, constatant "une prise de conscience du personnel exposé très variable". La surveillance biologique des expositions professionnelles, lorsqu'elle est mise en œuvre de façon régulière, peut aussi favoriser cette prise de conscience.

Document joint : SBEP : recommandations de bonne pratique, Société française de médecine du travail, mai 2016 ou Surveillance biologique des expositions professionnelles aux agents chimiques. Recommandations de bonne pratique.

 

 

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