Accident mortel sur le chantier de l'EPR en 2011 : retour sur la responsabilité des personnes morales

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La chambre criminelle de la Cour de cassation, saisie par la société propriétaire d'un équipement de travail, vient d'examiner, du point de vue de la réglementation SST et du code pénal, l'accident mortel d'un intérimaire sur le chantier de l'EPR de Flamanville en 2011.

Un salarié avait été mis à la disposition de la société N., par une société de travail intérimaire, sur le site de construction du réacteur nucléaire de type EPR, à Flamanville. Au sein du bâtiment, constitué d'un cylindre de 47 mètres de diamètre, destiné à recevoir la cuve contenant le cœur du réacteur, cet intérimaire réalisait une opération de soudage en position allongée sur une plateforme. La manœuvre d'une grue positionnée au centre de l'enceinte et transportant une charge de 850 kilogrammes, a heurté cette plateforme de travail, provoquant son décrochage. Le salarié a fait une chute mortelle d'une quinzaine de mètres de hauteur. L'enquête a montré que la réalisation des travaux de génie civil avait été confiée à un groupement momentané d'entreprises composé de quatre sociétés dont l'une, la société B., était mandataire du groupement.

Les infractions retenues : équipements de travaux en hauteur ne préservant pas la sécurité et non remise du PPSPS

Les sociétés N. et B., ainsi que la société T., propriétaire de la plateforme sur laquelle travaillait la victime, ont été poursuivies devant le tribunal correctionnel pour homicide involontaire et infractions à la réglementation sur la sécurité des travailleurs. Le grutier a été également poursuivi pour homicide involontaire. L'accident était, en effet, en partie dû à un mouvement d'accélération de la grue, et il est apparu que ce grutier avait eu un manque de réaction aux demandes répétées du chef de manœuvre, du fait d'une consommation récente de stupéfiants.

Le tribunal correctionnel a relaxé la société N.. Il condamne la société B. et le grutier pour homicide involontaire. La société T. a été, quant à elle, condamnée pour homicide involontaire, mise à disposition d'équipements de travaux en hauteur ne préservant pas la sécurité du travailleur et réalisation de travaux sans remise du PPSSP (plan particulier de sécurité et de protection de la santé des travailleurs). La société T. se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la cour d'appel ayant confirmé sa condamnation.

Le moyen soulevé par la société : la requalification de l’infraction entraînant la violation de l’article 6 de la convention européenne

La société T considère, tout d'abord, que les conditions de l'art. 121-2 du code pénal ne sont pas réunies, dans la mesure où les juges avaient retenu comme représentant de la société, le directeur des opérations de la société, mais sans démontrer qu'il était l'auteur des faits à l'origine des infractions poursuivies. Mais pour la chambre criminelle, s'appuyant sur le procès-verbal de l'autorité de sûreté nucléaire, il ne faisait aucun doute que celui-ci était bien titulaire d'une délégation de pouvoirs et disposait de l'autorité, des moyens et de la compétence pour remplir sa mission, à savoir faire appliquer les dispositions réglementaires relatives à la sécurité sur le chantier. Dès lors, l'absence de toute mesure en ce sens ne pouvait être imputée qu'à lui seul.

Elle se plaignait ensuite d'une violation, à son égard, de l'art. 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui prévoit que la personne poursuivie doit être informée de la nature et de la cause de l’accusation portée contre elle et doit disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. En application de cette disposition, les juges qui décident de modifier le chef d'accusation porté contre un prévenu doivent l'avertir suffisamment tôt de la nouvelle qualification retenue contre lui, afin de lui permettre d'y adapter sa défense. Or, la société faisait remarquer que, poursuivie pour homicide involontaire par violation délibérée d'une obligation particulière de sécurité posée par la loi ou le règlement, elle avait été condamnée pour homicide involontaire par imprudence, cette modification de la qualification ayant été opérée d'office par la cour d'appel, sans qu'elle en ait eu au préalable connaissance.

La solution de la chambre criminelle : la qualification de l’infraction n’est pas en cause

D'abord, pour comprendre le changement, il faut rappeler qu'il était reproché à la prévenue de ne pas avoir fourni une plateforme permettant d'assurer la sécurité dans la mesure où elle n'était pas équipée d'un dispositif anti-soulèvement, contrairement à ce qu'exige la norme NF P 93-351 (Norme Française - Plates-formes de travail en encorbellement et supports, qui dans son article 5-1-4 impose un verrouillage-déverrouillage automatique permettant de s'opposer à tout soulèvement intempestif de la plate-forme). Mais une telle norme ne constitue ni une loi, ni un règlement, et son non-respect ne peut être considéré comme fautif. En effet, selon le code pénal (art. 121-3 ou 221-6) la faute non intentionnelle peut prendre la forme d'un manquement à un texte, mais à condition que la norme de sécurité méconnue ait été posée par une loi ou un règlement. Il ne restait donc aux juges, pour valider la condamnation, que la possibilité de se placer sur le terrain de l'autre faute non intentionnelle à laquelle se réfèrent les mêmes textes, à savoir la faute d'imprudence ou de négligence. Si l'absence de tout système de verrouillage ne se révélait pas contraire à la loi ou à un règlement, elle n'en constituait pas moins une imprudence fautive.

Cela admis, le grief soulevé par la société T. ne pouvait aboutir. Tant la jurisprudence européenne que française considèrent que l'obligation d'information requise par l'article 6 ne s'impose que lorsque la qualification de l'infraction imputée au prévenu est en cause. Ce n'était pas le cas ici, puisque poursuivi pour homicide involontaire, il a bien été condamné pour ce délit, la modification n'ayant concerné qu'un élément constitutif de celui-ci. Et, par ailleurs, la chambre criminelle note que l'éventualité de cette disqualification avait été évoquée dans le débat tenu devant la cour d'appel.

Documents joints : Cass. crim., 28 mars 2017, n° 15-82.305

 

 

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