Responsabilité pénale lors d'un accident du travail : interprétation stricte de la responsabilité des personnes morales

Classé dans la catégorie : Institutionnels

La chambre criminelle de la Cour de cassation fait à nouveau une interprétation stricte de l'article 121-2 du code pénal, et elle affirme la nécessité d’une infraction commise par un organe ou représentant de la société et pour le compte de la personne morale.

Deux employés, ayant la qualification de chauffeur-livreur, ont été mis, pour une journée, à la disposition d'une société, par une société de travail intérimaire. Un responsable de la société utilisatrice leur a confié la mission de charger des palettes de fenêtres sur un camion disposant d'un hayon afin de les transporter jusqu'à un chantier. Il leur a fourni des explications relatives à la réalisation de ces opérations. Un accident s'est toutefois produit au moment du chargement d'une seconde palette. Celle-ci, plus lourde que la précédente, a basculé vers l'arrière, et est tombée sur une jambe de l'un des deux employés, entraînant pour lui une incapacité totale de travail de six mois. La société utilisatrice est condamnée, par un tribunal correctionnel, pour blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail d'une durée supérieure à trois mois par la violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement. La décision est confirmée en appel.

Manquements aux obligations en matière de formation à la sécurité

Les juges ont retenu, comme faute à l'origine du dommage, un manquement aux dispositions du code du travail relatives à la formation des salariés. Tout d'abord, en application de l'article L. 4141-2 du code de travail, un employeur est tenu d'organiser une formation pratique et appropriée à la sécurité au bénéfice des salariés temporaires. Une exception est prévue quant à la mise en œuvre de cette formation : c'est quand il est fait appel à des salariés temporaires en vue de l'exécution de travaux urgents nécessités par des mesures de sécurité et à condition qu'ils soient déjà dotés de la qualification nécessaire à cette intervention. Mais, comme le soulignent les juges, il n'était pas question ici de travaux urgents.

Ensuite, selon l'art. R4141-13, la formation à la sécurité relative aux conditions d'exécution du travail a pour objet d'enseigner au travailleur, à partir des risques auxquels il est exposé :

  • les comportements et les gestes les plus sûrs en ayant recours, si possible, à des démonstrations ;
  • les modes opératoires retenus s'ils ont une incidence sur sa sécurité ou celle des autres travailleurs ;
  • le fonctionnement des dispositifs de protection et de secours et les motifs de leur emploi.

À partir de là, les juges ont considéré que les quelques explications données par le responsable de la société utilisatrice, avant le début des travaux, ne satisfaisaient pas aux exigences de ces textes. En effet, il s'agissait d'explications sommaires, n'ayant duré que quelques minutes, quant au fonctionnement du hayon que les salariés avaient pour mission d'utiliser, mais qui ne précisaient ni le poids maximal supporté par ce hayon, ni celui de chaque palette ; ce qui n'a pas permis à la victime de vérifier l'adéquation de la charge au poids maximal supporté par le hayon.

Dans son pourvoi, la société invoquait trois moyens de cassation.

Faute de la victime et absence de lien de causalité entre la faute et le dommage ?

Le premier consistait à rendre le salarié seul responsable de son dommage, au motif qu'il avait laissé son collègue faire fonctionner le hayon en ses lieu et place, alors qu'il était seul habilité à utiliser cet équipement pour la maîtrise duquel il avait été recruté. Mais la faute de la victime ne peut exonérer le chef d'entreprise que si elle est la cause exclusive du dommage. Ce n'était pas le cas ici, car d'autres fautes avaient été commises qui y avaient contribué, que ce soient les insuffisances de la formation ou le fait que les deux salariés, fraichement recrutés, avaient été laissés seuls pendant le chargement des palettes.

Dans un second temps, elle contestait l'existence d'un lien de causalité certain entre le manquement à la formation qui lui était reproché et le dommage. L'argument n'est pas, non plus, retenu, car c'est bien l'absence d'informations concernant le poids maximal supporté par le hayon et celui de chaque palette qui explique que la victime n'a pas pu vérifier l'adéquation de la charge au poids maximal supporté par le hayon.

Conditions strictes d’engagement de la personne morale

Restait le troisième moyen avancé par la société, et qui concernait les conditions d'engagement de la responsabilité d'une personne morale. Il s'appuyait sur la position désormais adoptée par la chambre criminelle qui, plus conforme à la lettre de l'article 121-2 du code pénal, exige des juges de fond qu'ils établissent que la personne physique, auteur des faits, avait bien la qualité d'organe ou représentant.

En l'espèce, on se rend compte que ces juges avaient fait, de la société elle-même, l'auteur des faits. Il était, par exemple, souligné que la société "a manqué à son obligation de formation particulière concernant l'utilisation du hayon". Autrement dit, la faute avait été recherchée dans la personne même de la personne morale. Mais, en procédant de la sorte, les juges avaient méconnu la nature de la responsabilité des personnes morales. Conçue comme une responsabilité indirecte, supposant comme préalable la preuve d'une infraction commise par un organe ou représentant, elle devenait une responsabilité directe, avec une recherche des éléments constitutifs de l'infraction chez la personne morale elle-même. Dès lors, la chambre criminelle casse l'arrêt.

 

 

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