Burn-out, bore-out, brown-out, ces "maladies du siècle"

Les rencontres parlementaires annuelles de la santé au travail ont le mérite de révéler les maux – et les mots – qui préoccupent. Et quand le thème est la transformation du travail, ce sont toutes les facettes de l'épuisement professionnel qui surgissent.

L'an dernier, l'articulation vie privée / vie professionnelle avait occupé le centre des débats, annonçant les intenses discussions dans les mois qui ont suivi sur la déconnexion (voir notre article). Il y a deux ans, les participants tiraient un bilan peu positif des politiques de santé au travail, alors que le 3e plan santé-travail n'était pas encore validé (voir notre article). Les rencontres parlementaires pour la santé au travail, qui se tenaient à Paris hier, mercredi 25 janvier 2017, servent avant tout à humer l'air du temps. Cette année, le burn-out est revenu inlassablement dans presque toutes les interventions, alors que le thème annoncé se voulait plus global : quels enjeux pour la santé et la sécurité face aux transformations au travail ?

Surinvestissement, ennui, absurdité

"Burn-out, bore-out, et même maintenant brown-out", des "maladies du siècle" que l'on a "trop tendance à congédier d'un revers de main", selon le philosophe Gaspard Koenig, à la tête du think-tank libéral GenerationLibre. Le burn-out – cette "pathologie du surinvestissement qu'il faut différencier de l'épuisement", tient à souligner Emmanuelle Lépine, psychologue clinicienne spécialiste des risques psychosociaux œuvrant au sein du cabinet Eléas – est désormais entré dans le langage courant. Il n'en est pas encore de même avec ses cousins linguistiques, le bore-out, lorsque votre entreprise ne vous donne pas suffisamment à faire et que l'ennui vous aspire dans un tourbillon de vacuité, et le brown-out, une "baisse de courant psychique" selon les mots de Gaspard Koenig qui serait provoquée par la perte de sens, l'absurdité quotidienne des tâches à accomplir.

"Lorsque le travail est insuffisamment pensé"

Pour Hervé Lanouzière, directeur général de l'Anact (agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail), si ces maux peuvent être liés à la transformation du travail avec le numérique, ils surgissent avant tout lorsque "le travail est insuffisamment pensé". Fidèle à son analyse, il pense que "le numérique agit comme un catalyseur" (voir notre article) alors qu'il n'y aurait là aucune fatalité : "le numérique, ce sont d'abord des outils ; tout dépend de comment on les introduit dans l'entreprise". Gaspard Koenig voit au contraire le problème dans le lien juridique qui associe l'employeur et son salarié : la subordination.

La "coopération" au lieu de la subordination

Il en veut pour preuve les tentatives d'"entreprises libérées", ce concept de management qui ambitionne de considérer les salariés comme des adultes responsables, que l'on peut libérer de la hiérarchie et du contrôle, afin de leur permettre de s'organiser librement. "Quand on se promène dans les entreprises libérées, près du baby-foot souvent inutilisé, on a plutôt l'impression que c'est gadget, et qu'on a les mêmes problèmes qu'ailleurs", observe Gaspard Koenig. Dans ce cas, "traiter la cause", ce serait remplacer le lien de subordination par un lien de "coopération". L'employeur y aurait la "responsabilité de répondre à la quête de sens" de son travailleur et n'aurait pas le droit de le mettre à une place où il n'évoluerait pas.

Absentéisme et engagement

Est-ce que vous êtes heureux et engagés dans votre travail ? 35% de la population active française répondrait par l'affirmative à cette question, selon le dernier baromètre sur l'absentéisme du cabinet Ayming, présenté fin 2016 (voir notre article). Le taux d'absentéisme tourne autour des 5% de la population active, quand 13% se déclarent ni heureux ni engagés, mais ne sont pas absents pour autant. Fabien Piazzon, qui y est consultant en qualité de vie au travail, pose ces quelques chiffres, précisant que le taux d'absentéisme est pour l'employeur "l'indicateur le plus facilement accessible" pour avoir une idée du niveau d'engagement de ses collaborateurs. Entre les lignes des graphiques, il appelle à voir le contenu et le sens du travail ainsi que les relations au travail, que ce soit avec des collègues ou la hiérarchie, comme les leviers à activer pour obtenir de la motivation, tout en préservant la santé mentale.

Émotions en contre-pouvoir

"Et si le partage de ses émotions au travail était une manière d'exercer un contre-pouvoir, une pression douce sur les managers ?". Alexandre Jost, fondateur de la Fabrique Spinoza, qui se présente comme le "think tank du bonheur citoyen", sait qu'il est parfois "entendu comme quelqu'un d'angélique" mais lui se voit juste comme "optimiste" lorsqu'il lance cette "belle idée". Le "contre-pouvoir", augmentant la résistance – en bonne santé – du travailleur, naîtrait ainsi du soutien socio-émotionnel, un concept notamment théorisé par Karasek dans les années 1990, qui renvoie au degré d'intégration sociale et émotionnelle et à la confiance dans le collectif de travail. Ce même Karasek qui a développé un des questionnaires (voir notre article) utilisés pour évaluer les risques psychosociaux au travail, et que l'Académie de médecine reconnaissait il y a un an comme "pertinent pour expliquer l'apparition d'un burn-out", puisqu'il "souligne le rôle joué à la fois par la charge de travail mais aussi par l’absence d’autonomie de l’individu pour faire face à cette charge". Laquelle Académie expliquait alors qu'"en l'état actuel, le burn-out ne peut pas être une constatation médicale" (voir notre article). Un an plus tard, la discussion est toujours ouverte.

 

 

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