Se former pour réduire la pénibilité : un pari risqué

Plus qu'un dispositif de financement de la retraite anticipée, le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) est avant tout un outil de prévention de la pénibilité.

C'est le nécessaire rappel fait par le rapport sur le C3P rendu le 18 novembre au Premier ministre. Ce document souligne que certains obstacles pourraient toutefois limiter la réalisation de cet objectif.

Chargés par Manuel Valls d'une mission d'évaluation de la place du compte de prévention de la pénibilité (C3P) dans le système de protection sociale, Pierre-Louis Bras (président du Conseil d'orientation des retraites), Jean-François Pilliard et Gaby Bonnand n'ont rempli que partiellement leurs objectifs. Les auteurs ont d'ailleurs précisé que les autres aspects de la commande feraient l'objet de "travaux ultérieurs". Le rapport rendu au premier ministre le 18 novembre se concentre en effet sur les apports du dispositif concernant l'amélioration de la santé au travail. Une mise au point qui tombe à point nommé quand on sait que les deux candidats de la primaire de droite ont tous deux pour objectif de supprimer le compte pénibilité.

La formation devra être adaptée aux salariés exposés à la pénibilité

"Un stock important de droits à la formation va se constituer dans les quatre à cinq prochaines années" avertit le rapport. En effet, les 20 premiers points accumulés au titre du C3P doivent être consacrés au financement d'heures de formation professionnelle. Cette ouverture de droits peut effectivement contribuer à prévenir la pénibilité, soit en permettant au salarié de se reconvertir dans un emploi moins pénible, soit en accompagnant une transformation de son emploi minimisant son exposition à la pénibilité. Cependant, le rapport souligne une série d'obstacles risquant d'entraver l'objectif de réduction de la pénibilité.

Tout d'abord, les nouveaux bénéficiaires de droits à la formation seront, pour beaucoup, des salariés qui n'avaient que peu accès à la formation professionnelle jusqu'alors. Ainsi, les ouvriers n'étaient que 37 % à bénéficier d'une formation professionnelle durant l'année en 2012, contre 68 % des cadres. De même, les salariés de TPE n'étaient que 35 % à bénéficier d'une formation en 2012 contre 65 % des salariés des établissements de plus de 250 personnes. Or, selon le rapport "les bénéfices attendus de la formation professionnelle pour réduire la pénibilité peuvent être limités par une prise de conscience insuffisante par les intéressés eux-même de l'existence et de l'intérêt de ce droit, par leurs difficultés à formuler un projet professionnel de sortie de la pénibilité en s'appuyant sur la formation". Un accompagnement de ces salariés serait donc judicieux selon le rapport, qui propose en ce sens une aide des réseaux des conseillers en évolution professionnelle (CEP).

Le rapport souligne également que la question du départ en formation du salarié pourrait poser le problème du paiement de la rémunération. En effet, les employeurs, principalement dans les PME, pourraient être réticents à l'idée de rémunérer le salarié absent si aucune perspective d'évolution n'est de toute façon envisageable dans l'entreprise. Le rapport préconise une possibilité d'attribuer certains des 20 premiers points C3P au financement de la rémunération, et pas seulement au coût pédagogique de la formation.

Enfin, les formations devront être assez nombreuses pour répondre aux besoins de tous les salariés qui auront nouvellement acquis des droits à la formation, et elles devront être adaptées à un objectif de sortie de la pénibilité.

Le rapport plaide également en faveur d'une parfaite fongibilité entre les points acquis au titre du compte personnel de formation (CPF) et ceux acquis au titre du C3P, notamment dans la perspective de leur intégration au CPA. Or aujourd'hui, ni les listes de formation éligibles, ni les montants des heures financées ne sont homogénéisés.

Le coût des emplois "pénibles" devrait s'accroître

Le financement du C3P implique une augmentation du coût des emplois exposés aux facteurs de pénibilité définis par la loi. En plus de la cotisation de 0,01 % de la masse salariale désormais due par tous les employeurs, une cotisation additionnelle de 0,1 % de la masse salariale, puis 0,2 % en 2017, est prévue pour les employeurs de salariés concernés par la pénibilité (cotisation doublée en cas de poly-exposition aux risques). "Avec un taux de cotisation à 0,2%, la cotisation additionnelle de pénibilité s'élève à 35,2 euros par an et par salarié au Smic" note le rapport. De quoi inciter les employeurs à réduire l'exposition aux risques de leurs salariés.

Mais ce coût pourrait encore s'accroître. En effet, le rapport prévoit que l'accumulation progressive de points par les bénéficiaires impliquera leur utilisation différée, et le niveau de cotisation devra augmenter en conséquence. De plus, si le nombre d'emplois "pénibles" s'amenuise, moins d'employeurs paieront la cotisation additionnelle, et donc le taux de cette dernière devra être ajusté à la hausse pour faire face aux dépenses.

Des "effets de seuil" risqués pour la dynamique préventive

"Un seuil est toujours réducteur, il ne signifie pas qu'en deçà, la prévention soit inutile" avertit le rapport. En effet, la mise en oeuvre du C3P pourrait freiner la dynamique de prévention en entreprise. D'une logique de prévention globale appliquée à tous les risques, les employeurs ne s'attacheraient plus qu'à maintenir les conditions de travail de leurs salariés sous les quelques risques auxquels ils sont soumis. Le franchissement des seuils doit ainsi, selon le rapport, "être considéré comme une alerte" mais "ne doit pas devenir la référence pour la conception des politiques de prévention".

Le rapport fait le point sur l'élaboration des référentiels de pénibilité de branche. A la mi-novembre 2016, seuls deux accords ont été signés : celui de la Fédération nationale des boissons (signé le 2 février 2016, étendu par arrêté du 5 juin) et celui de la blanchisserie (signé le 26 septembre 2016). Par ailleurs, quatre référentiels ont été présentés au Coct, comme l'avait annoncé Myriam El Khomri début octobre, et seront "homologués prochainement". Le rapport souligne que "peu de référentiels ont fait l'objet d'une concertation ou d'un dialogue avec les représentants des salariés."

 

 

 

 

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