Les services de santé au travail devraient "prendre leur destin en main"

Classé dans la catégorie : Institutionnels

Récompensé pour sa thèse sur les services de santé au travail, le juriste André-Franck Jover nous parle des évolutions apportées dans ces services par la loi de 2011. Au menu : sacralisation du médecin, cogestion à développer et dépendance au code du travail.

Dans les discussions qui se tiennent depuis plusieurs mois sur le projet de loi travail, il est assez rarement question des services de santé au travail en eux-mêmes. Il fut un temps question de revoir la gouvernance de leur conseil d’administration – en première lecture, à l’Assemblée – mais depuis, plus rien ou presque. Les débats se concentrent sur l’avenir de la visite d’aptitude, non sans inquiétude dans les services (voir notre article). Pour André-Franck Jover, juriste spécialisé en santé-sécurité qui a fait sa thèse sur les services en question, c’est parce que la loi de 2011 a été "très structurante" sur le sujet. La publication de ce texte, qui introduit la pluridisciplinarité dans les services, fut d’ailleurs le point de départ de ses travaux, commencés en 2012. Récompensée en mai dernier par le prix UIMM (union des industries et métiers de la métallurgie) de droit social, la thèse d’André-Franck Jover s’intitule "Les métamorphoses des services de santé au travail, entre santé au travail et santé publique".

Depuis l’introduction de la pluridisciplinarité dans les services de santé, leur modèle organisationnel s'est-il "métamorphosé" ?

André-Franck Jover : Dans les services, le médecin – et c’est normal – a une place centrale. Dans ma thèse, je parle de "sacralisation" du médecin du travail. Souvent les services fonctionnent sur un modèle d’organisation où tout passe par lui. Même si certains d’entre eux pensent qu’avec la réforme de 2011, ils ont perdu en autonomie dans leur activité. Ceci dit, il ne faut pas confondre centralité et omnipotence. Le médecin du travail ne peut pas être partout, sur tout. Il doit savoir déléguer et laisser à d’autres personnes compétentes la possibilité d’intervenir de façon autonome sur certains sujets.

L’alternance à la tête des conseils d’administration des services de santé au travail fut un temps proposé par le projet de loi El Khomri. Métamorphoserait-il la vie des services en question ?

André-Franck Jover : On ne se rend pas compte de l’importance du paritarisme dans les conseils d’administration des services interentreprises de santé au travail. Le projet de loi introduisait effectivement cela à la tête même des conseils. Une présidence alternante entre employeur et salarié renforcerait la co-gestion qui existe déjà légalement dans les services interentreprises. En tout cas davantage que dans les services autonomes. Même si historiquement, dans les deux, l’employeur a toujours été l’administrateur du service.

Vous suggérez une autre présidence dans votre thèse...

André-Franck Jover : Oui, pour ma part, je suis contre une présidence exercée par une organisation patronale ou syndicale. Avec la santé au travail, on parle d’un sujet régalien ; la mise en œuvre de politiques publiques comme le 3e plan santé au travail (PST) justifie à mon sens la présence d’un représentant de l’État à la présidence du conseil d’administration. Par ailleurs, en terme de gouvernance, je trouve qu’on devrait intégrer davantage de représentants des professionnels de santé dans les conseils d’administration. Aujourd’hui, ils sont déjà représentés par la commission médico-technique, mais elle n’a que peu d’emprise et de prérogatives.

Vous écrivez que les services de santé au travail doivent se servir des "silences du droit" pour agir. Qu’entendez-vous par là ?

André-Franck Jover : Concrètement, cela veut dire par exemple que les services de santé au travail pourraient optimiser leur activité et focaliser sur certaines populations ou métiers, plutôt que de vouloir voir tous les salariés. Certains services, dans le Nord de la France par exemple, ont pris leur destin en main plutôt que d’attendre que le code du travail leur dise d’agir de telle façon. Ils ont choisi de mettre en place tel ou tel dispositif, ou de renforcer leur activité sur un secteur en particulier. Et c’est à partir de là que les plans nationaux comme le PST 3 peuvent avancer.

Avec la suppression de la visite d'aptitude, certains services de santé au travail craignent de perdre leur légitimité. Qu’en pensez-vous ?

André-Franck Jover : Certains ont peur de perdre des prérogatives, d’autres n’ont pas envie de devoir contrôler l’aptitude des salariés. À côté de cela, il y a aussi des employeurs qui souhaitent maintenir cette visite… La question cristallise tous les intérêts divergents de la matière. De mon point de vue, supprimer la visite systématique permettrait de libérer du temps au médecin du travail pour qu'il puisse mener davantage d'actions sur le lieu de travail, et pour le management de l’équipe pluridisciplinaire. Comme dans n’importe quelle structure, manager des gens au sein d’un service de santé au travail nécessite du temps.

Selon vous, à plus ou moins long terme, les services autonomes pourraient être remplacés par des services interentreprises...

André-Franck Jover : Cela pourrait arriver, oui. En proportion, les services autonomes sont moins nombreux, et avec la réforme il n’y a plus d’obligations de mettre en place un tel service au-dessus de 500 salariés. Cela dit, en 2013 et 2014, les chiffres publiés par l’administration montrent qu’il y en a de plus en plus, alors que le nombre de services autonomes chutait. Cela s’explique par une raison simple : la pénurie de médecins. Les entreprises ont tout intérêt à créer leur service autonome, de manière à pouvoir remplir toutes leurs obligations. Les services interentreprises, eux, ne peuvent pas mener toutes les visites médicales, fautes de praticiens. À noter qu’aujourd’hui on peut aussi imaginer des services autonomes à d’autres échelles que l’entreprise, à celle du groupe par exemple. La loi de 2011 permet tout cela.

 

 

 

 

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Réactions...

Chrysalide le :

Bonjour, Si la médecine-politique au travail devraient "prendre en main le destin du peuple" alors, Quid du don de soi, en télémédecine, des (((biopuces, citoyen(ne)))) ? Jusqu'où ira la dépendance au code du travail au moyen de la télémédecine ? Face à une sacralisation du médecin comment se maintient le souverain ? Face à une sacralisation du médecin comment se maintient le prince ? Face à une sacralisation du médecin comment se maintient le peuple ? Face à une cogestion à développer se dirige-t-on vers un État cybernétique subsidiaire, un corps du sujet de droit en immersion haptique ? Une sorte de triumvirat ?
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